Passe vaccinal au restaurant : «Nous ne sommes pas la Police»

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Lundi 24 janvier a marqué l’entrée en vigueur du passe vaccinal avec possibilité de contrôle d’identité. Si les restaurateurs veulent bien jouer le jeu, ils estiment que leur confier le contrôle en cas de doute dépassent leur rôle. Témoignages.

Photo d'illustration.
Photo d'illustration. Crédits : Pixabay

«Floue », « complexe », voire carrément « risquée »… La possibilité de contrôler les identités des clients accompagnant l’instauration du passe vaccinal n’a pas convaincu les restaurateurs ni les serveurs. Néanmoins, aussi difficile que ce soit à mettre en place, ils reconnaissent la nécessité de devoir s’adapter. À Paris, plusieurs d’entre eux témoignent.

Guillaume* est serveur Chez Prune depuis 4 ans, un bar restaurant situé rue Beaurepaire dans le 10e arrondissement de Paris. Il est 18 heures, et la terrasse mitoyenne du canal Saint-Martin est pleine. « Si le passe est rouge, c’est simple, vous vous levez et vous partez », déplore-t-il. La politique de la maison est stricte, pour espérer consommer, il faut faire patte blanche : « Ici nous sommes très exposés et souvent contrôlés. Je n’ai d’autre choix que de faire la police et d’être intransigeant avec les clients » ajoute-il. « Certains clients sont réticents, bien évidemment, mais j’ai pour ordre de ne rien laisser passer. Les directives sont claires : seuls les clients présentant un passe vaccinal valide seront servis ».

Mathieu Barthes, co-gérant du restaurant toulousain Les sales gosses

« Nous sommes au courant qu’à partir d’aujourd’hui le passe vaccinal remplace le passe sanitaire, mais nous pensons que ça ne va rien changer. Nous n’avons en tout cas noté aucune baisse des réservations. Depuis la mise en place du passe sanitaire, nous n’avons pas eu de cas de clients qui refusaient de nous le présenter, et cela ne devrait pas changer. Je ne sais pas si nous devons contrôler l’identité des clients. En général, en salle, le personnel vérifie que le passe est valide et ne va pas plus loin. On ne s’attarde pas sur le nom ou l’âge. »

« S’il le faut, je peux demander aux équipes d’être plus attentives et de vérifier si c’est nécessaire. Mais on prend déjà le temps de contrôler le passe, je pense que c’est suffisant. De plus, il y a de moins en moins de personnes non vaccinées de toute façon, on espère surtout que cela ne va pas trop durer. On veut bien jouer le jeu et demander le passe pour le moment, mais le mieux serait de ne pas avoir à formuler cette requête pour toujours. »

Davide Fontana, gérant et cofondateur de Trattino (Lyon 7e)

« Passe sanitaire ou passe vaccinal c’est la même chose. Nous pensons que cela ne va rien changer. Finalement, ce qui nous touche le plus ce sont les annonces concernant le télétravail, par exemple, ou en décembre l’annulation des évènements. Nous avons eu 650 couverts annulés pendant les fêtes de fin d’année. »

« Concernant le contrôle d’identité, pour nous ce n’est pas notre rôle de vérifier, même si on a un doute. C’est trop subjectif et cela ouvre la porte au délit de faciès. Nous sommes un lieu inclusif et ouvert, on ne veut pas devoir contrôler les papiers de nos clients à chaque fois. Donc selon nous, soit l’État nous oblige et on le fait pour tout le monde, soit personne. La notion de doute ne peut pas exister. On vérifie la validité du passe et c’est déjà bien, on a une personne à l’accueil dédiée à cela et si elle doit également vérifier la carte d’identité, la photo, la date de validité, cela prendrait beaucoup trop de temps. Nous sommes un lieu grand public, donc nous ne sommes pas là pour juger. »

Julien Chazot, chef du restaurant L’Encart (Lyon 2), membre du collectif Les essentiels

« Pour nous, l’instauration du passe vaccinal ne change rien. Nous avons probablement déjà eu de faux passes, mais c’est très marginal.
Ce qui change est que maintenant on peut être inquiété en tant que restaurateur si le passe est faux, donc nous sommes censés vérifier l’identité en cas de doute. Nous pensons que ce n’est pas du tout notre rôle, nous ne sommes pas la police. D’ailleurs, économiquement c’est compliqué, si une table de six arrive et qu’une personne n’a pas sa carte d’identité, on va perdre la table… et que devons nous faire, appeler les forces de l’ordre ? Nous sommes vigilants, mais nous ne sommes pas eux. Pour nous, le plus compliqué c’est vraiment le télétravail imposé. Nous enregistrons une baisse de 50 % les midis. »

Eric*, gérant d’un salon de thé dans le 11e arrondissement de Paris

« Honnêtement, je n’arrive plus à suivre. Le protocole change tellement souvent d’une part, et d’autre part, avec l’affaire à gérer et le service que nous devons assurer à deux avec ma seule employée, je n’ai pas le temps pour ça. On contrôle le passe sanitaire des clients. Mais vérifier l’identité ? Ce n’est ni dans mes attributions, ni dans mes compétences. On a la chance d’avoir une clientèle qui ne fait pas de vague. Néanmoins, ce serait beaucoup leur demander. Sans parler du fait de heurter des sensibilités en voulant contrôler des identités au faciès… C’est trop compliqué à mettre en place. Je préfère continuer comme avant, en attendant que tout cela se termine le plus vite possible. »

Alain Fontaine (AFMR) : « Demander à une population de contrôler une autre est une ouverture aux dérives »

« D’un point de vue technique, ça ne change pas grand chose. On présente le passe de la même manière, on le contrôle également de la même manière. Deux sujets nous ont interpellé : le passe vaccinal va freiner notre fréquentation, qui était déjà en berne. Le deuxième point évidemment c’est la présentation d’une pièce d’identité dans le cadre d’une suspicion. On gradue comment la suspicion ? La seule qu’on peut décemment envisager, c’est la suspicion sur l’âge. C’est le seul cas, comprenons nous bien : nous sommes dans une démocratie, la demande d’identité est déléguée à un certain métier. Demander à une population de contrôler une autre est une ouverture aux dérives, notamment sur le délit de faciès et la discrimination. On donne à 350 000 personnes un pouvoir extraordinaire alors qu’on fait un travail ordinaire : accueillir les gens. Demander l’identité des gens, c’est extraordinaire. »

*Les noms ont été changés

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