Les tissus écoconçus, nouveau fil rouge

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L’industrie du textile professionnel s’engage de plus en plus pour proposer des vêtements à impact limité sur l’environnement. Entre innovations, efforts de production et initiatives écocitoyennes, davantage de références écoresponsables sont disponibles chez les fournisseurs du CHR. Une occasion supplémentaire de peaufiner la transition écologique de son établissement.

« Les vêtements professionnels s’usent plus vite que les vêtements de ville car ils sont très sollicités. Leur impact environnemental est donc non négligeable. » C’est en partant de ce constat que la marque française Manelli a choisi de décliner, en 2018, une partie de ses modèles en tissus recyclés et écoconçus, les EcoGreen. « La majorité des vêtements produits aujourd’hui est en polyester, environ 60 % de la production. Mais c’est un matériau difficilement dégradable et qui plus est recyclable un très grand nombre de fois. En cuisine, la majorité des vêtements est en coton-polyester, ce qui en fait un important débouché pour le polyester recyclé, explique Mandy Sinigaglia, chargée du web marketing pour la marque. Aujourd’hui, sur trois vestes achetées chez nous, une est EcoGreen. Sur les dernières années, les produits responsables sont devenus l’affaire de tous. »

Cet état des lieux est dans l’esprit de la majorité des entreprises textiles en France depuis une dizaine d’années. Cette activité est en effet l’une des plus grosses émettrices de carbone au monde. Consciente des enjeux, la filière engage des efforts importants pour améliorer le bilan carbone. Une étude menée en janvier dernier par Cycleco pour l’Union des industries textiles en France martèle ainsi l’impératif de relocalisation d’au moins 25 % des productions d’ici à 2050 pour réduire l’empreinte carbone et favoriser une production au plus juste, avec moins d’invendus. « Les statistiques des douanes françaises montrent que nous ne produisons en France que 2,5 % des vêtements que nous consommons », démontre l’étude. Ce qui s’applique bien sûr aussi aux vêtements professionnels. 1 kg de textile consommé (et donc importé) en France représente 54 kg d’équivalent CO2, alors que 1 kg de textile produit en France représente 27 kg d’équivalent CO 2 , soit la moitié.

Le Made in France a un prix

La filière française peut pourtant compter sur des bases solides, dans les Vosges, dans le bassin lyonnais ou dans le Nord, berceaux du textile français et d’un réseau de partenaires déjà bien établis. Parmi les indéboulonnables productions tricolores, de nombreuses maisons de linge de table à l’image de Garnier Thiébaut, Bergan, ou encore Linvosges. Côté vêtements, si le Bassin méditerranéen offre une proximité et une qualité de confection appréciables à moindre coût, certaines marques ont choisi de rapatrier la production de leurs plus belles pièces, à l’instar de Robur pour sa collection Made in France ou de Lafont pour sa réédition du tablier 406 et la fabrication de sa nouvelle veste chef Canopée bio ( lire en encadré). On est encore loin d’un retour massif dans les usines françaises, même si le Made in France a le vent en poupe.

Les entreprises du textile se retrouvent confrontées à une dichotomie : la démarche RSE de certains clients CHR, si louable soit-elle, a du mal à se conformer aux efforts financiers nécessaires à leurs exigences écologiques, et notamment à l’égard du Made in France. Dominique De Checchi, dirigeant de Bergan, spécialiste du textile haut de gamme pour l’hôtellerie, a récemment dénoncé ce fait dans une tribune. « Les acheteurs, confrontés à une hausse généralisée des prix d’achat, vont-ils enfin joindre l’utile au nécessaire : faire en sorte que les sociétés basées en France puissent produire et/ou transformer des matières premières en France en sourçant le maximum de produits en Europe. […] Oui, le coût sera plus élevé et les consommateurs que nous sommes devront payer le prix du retour des activités délocalisées, […] il y a quand même un moment où il faut mettre en cohérence les constats et les actes ! »

Le polyester recyclé, le graal ?

Face à cette inertie qui les dépasse bien souvent, les fabricants de vêtements professionnels actionnent donc plus facilement l’autre levier de réduction de l’impact sur l’environnement : l’utilisation de tissus écoresponsables, notamment labellisés Oeko-tex 100 ( lire en encadré), de fibres textiles recyclées et une réflexion de plus en plus systématique sur la vie du produit. À savoir, la manière de recycler ou revaloriser le vêtement usagé, mais aussi plus largement l’analyse globale de son cycle de vie, prenant en compte toutes les étapes de la production (matière première, tissage, énergie, transport, etc.), en passant par l’usage (entretien, durabilité) et la fin de vie. On doit la dernière innovation en date à Robur qui a choisi de frapper un grand coup pour marquer de son empreinte la confection professionnelle écoresponsable en s’associant au projet Seaqual Initiative, qui recycle le plastique collecté en mer sous forme de fibres textiles polyester. En découle la gamme Made in Blue, sortie en septembre 2020. « Nous sommes aujourd’hui les seuls à utiliser cette matière première dans des vêtements professionnels pour le CHR », souligne Marion Gagnioud, chef de projet qualité et R & D de la marque. Au-delà de cette exclusivité, l’entreprise a entamé, il y a une dizaine d’années, un vaste chantier pour améliorer ses pratiques et certifier ses méthodes, ce qui l’a conduite à s’interroger sur l’impact des matières premières qu’elle utilisait.

« Notre constat a été simple : nous achetons beaucoup de polyester et de coton dont les deux ont un impact. Nous avons donc fait un état de l’art des matières responsables qui pourraient les remplacer. On utilisait déjà du polyester recyclé, mais il y avait pas mal de flou sur la filière et la traçabilité. C’est à ce moment-là que nous nous sommes tournés vers le Seaqual. »

En France, plusieurs marques de prêt-à-porter ou encore de vêtements de sport utilisent la fibre Seaqual. « On y gagne surtout en termes de bilan carbone et de consommation d’eau pour produire le tissu. Mais ce n’était pas suffisant pour nous, donc nous avons choisi d’ajouter du Tencel dans nos vêtements, une fibre écologique issue du bambou, pour avoir une analyse de cycle de vie conforme à ce qu’on voulait. » La collection sera élargie en janvier 2022 avec un nouveau coloris. Côté performances techniques, les marques affichent un cahier des charges identique à leurs autres modèles : résistance importante au lavage industriel, coutures à toutes épreuves, confort. De ce point de vue, les tissus écorespon-sables, plus légers, apportent d’ailleurs une vraie plus-value.

Bragard a également misé sur l’écoconception, sans pour autant en faire une tête de gondole. Une flopée de produits estampillés « Green Label » sont ainsi dispersés dans les gammes de vêtements de tous les secteurs où intervient l’équipementier, et notamment à travers une veste de cuisine en polyester recyclé et coton bio. « Nous faisons appel à un fournisseur de qualité qui nous garantit un polyester issu de bouteilles plastiques postconsommation, note Laura Collot, cheffe de produit. Nous travaillons aussi beaucoup de vêtements à base de Tencel, issu de l’eucalyptus qui se régénère rapidement. C’est une fibre très appréciée des clients car elle est résistante, plus fluide et plus facile à entretenir car elle demande peu de repassage. Le petit plus, c’est un touché soie mais avec une tout autre résistance au lavage. » La marque envisage de déployer largement son étiquette « Green Label » dans ses collections. « On trouvera de plus en plus de vêtements en matière recyclée parce qu’il y a de la demande. Nous travaillons aussi à une utilisation plus massive du lin, que nous pouvons nous procurer en circuit court à proximité de nos ateliers dans les Vosges. » Il est impératif de relocaliser d’au moins 25 % les productions textiles d’ici à 2050 pour réduire l’empreinte carbone et favoriser une production au plus juste, avec moins d’invendus.

Quid des vêtements de service et du linge de table ? 

Et pour le service et l’hôtellerie ? À regarder les catalogues de plus près, il semble que le virage ne soit pas encore pris pour les uniformes de ces métiers-là. « Pour les vêtements de service, nous n’avons pas de ligne en Seaqual, complète Victoria Thill, responsable marketing opérationnel et communication chez Robur. Nous n’avons pas de projet écoresponsable sur cette gamme, mais plutôt dans les tuyaux une innovation technique qui verra le jour en cette fin d’année. »

Chez Bragard, une chemise seulement est estampillée du « Green Label » de la maison. « Il existe pour l’instant peu de matières premières recyclées adéquates pour les vêtements de service, notamment la laine. Cela reste trop confidentiel pour que nous puissions développer une offre pour ces métiers » , note Laura Collot, cheffe de produit de la marque. Même problématique du côté du linge de table. « On fait ce qu’on peut à notre échelle, en réduisant notamment notre empreinte carbone avec un sour-cing local et en utilisant les matières premières les plus naturelles possible, assure Natalie De Checchi, directrice marketing B to B et projets hôteliers chez Bergan. La laine est plus responsable que le coton par exemple, mais pour le nappage, il faut bien avouer que les solutions restent limitées. »

La maison a entrepris de mettre en œuvre une certification GOTS (Global Organic Textile Standard) pour une grande partie de ses produits afin de pouvoir garantir le statut biologique du textile utilisé. « Pour nous, cela implique un choix méticuleux que ce soit pour les fibres que nous utilisons ou les sous-traitants avec lesquels nous travaillons. Historiquement, nous avons toujours travaillé en local, nous n’avons donc pas eu de gros efforts à fournir sur ce point. Nous travaillons depuis 30 ans avec les mêmes partenaires car avant même la préoccupation environnementale, nous nous attachons à la qualité. »

Étiquette environnementale et upcycling pour aller plus loin 

L’étude Cycleco démontre également l’intérêt de présenter au consommateur une étiquette de traçabilité qui donnerait un score carbone aux vêtements de la même manière que pour le matériel électroménager, permettant à la fois de responsabiliser ses choix, mais aussi de valoriser les filières vertueuses. Robur s’est saisie de cette idée et fera apparaître un affichage environnemental de ce type dans son prochain catalogue pour ses dix produits les plus vendus.

D’autres initiatives viennent renforcer la démarche RSE des fabricants, notamment pour limiter les déchets de production ou liés au transport. Bragard et Manelli utilisent notamment les chutes de confection pour réaliser des pochons d’emballage pour la livraison des vêtements. Des opérations de collecte des vêtements usagers ont également lieu régulièrement chez les distributeurs, permettant aux marques de favoriser leur recyclage, voire de les revaloriser en créant de nouvelles fibres textiles. La boucle vertueuse est alors bouclée. 

Zoom sur les labels textiles


OEKO-TEX 100 : il certifie des textiles conçus sans produits toxiques pour la santé humaine et l’environnement. Il peut cependant aussi certifier des textiles synthétiques dont la fabrication peut être polluante en amont.

OEKO-TEX MADE IN GREEN : c’est une extension de l’OEKO-tex 100 qui garantit en plus que le tissu est produit de manière durable et socialement responsable.

GOTS (Global Organic Textile Standard) : un label mondial qui certifie l’origine biologique des textiles, à hauteur de 75 % au minimum de matières bio. Il assure aussi que l’ensemble des étapes de production et de transformation du tissu sont responsables vis-à-vis de l’humain et de l’environnement, ce qui en fait l’un des référentiels les plus exigeants actuellement.

FRANCE TERRE TEXTILE® : il garantit que plus des 3/4 des opérations de production (de la fabrication du tissu à la confection) de l’article sont réalisées en France selon des critères de fabrication en circuit court, de qualité et RSE.

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