Le rosé tutoie les grandes tables

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Depuis le virage technologique pris dans les années 1990, le vin rosé a réussi à se tailler une place à part entière à la carte des vins. Vin de liberté, qui a su défier les codes classiques de la dégustation, le rosé s’affranchit du registre de l’apéritif avec ses cuvées de niche : des vins de garde et de gastronomie.

La Provence élabore 4 % du volume mondial de rosé. Image d'illustration.
La Provence élabore 4 % du volume mondial de rosé. Image d'illustration.

Le rosé, ce vin jadis qualifié de « vin de soif », a changé de profil et d’image en seulement deux décennies. Et ce, grâce au leadership de la Provence, qui en a fait sa spécificité historique. En se dotant d’outils performants de maîtrise du froid et de l’oxygène, dès les années 1990, et d’un Centre de recherche et d’expérimentation sur le vin rosé, les vignerons se sont engagés à l’unanimité dans une révolution qualitative de la couleur.

Premier producteur mondial de rosé AOP, la Provence n’élabore pourtant que 4 % du volume mondial. Pourtant, elle a réussi à imposer un style aux quatre coins du globe : celui du rosé clair, sec et aromatique. Ce vin à la robe subtilement nacrée, aux saveurs fruitées et à l’importante minéralité. « Il y a vingt ans, on était considérés comme un gros producteur de rosé et, aujourd’hui, vingt ans plus tard, on élabore le rosé premium du marché sur le seul vignoble au monde, avec un tel volume, à s’être spécialisé dans cette couleur. La Provence, par la qualité de sa production, son terroir, sa spécialisation et son histoire, est une vraie locomotive », souligne Brice Eymard, le directeur du Conseil interprofessionnel des vins de Provence (CIVP).

Montée en gamme et en prix

Conséquence de cette stratégie menée au Sud : en 15 ans le prix du rosé a été multiplié par deux ! Et les grands groupes, comme LVMH, et les financiers qui ont investi ces dernières années en Provence ne cessent de tirer le marché vers le haut grâce à des investissements massifs dans les technologies de production et l’avènement de cuvées fleurons.

Mais la premiumisation du vin rosé résulte aussi des efforts environnementaux consentis par les appellations provençales, avec la conversion au bio, la certification HVE des propriétés et une réflexion de fond sur le réchauffement climatique et la réduction de l’empreinte carbone. Une dynamique « rosé » qui se généralise aux autres régions.

« Avec la hausse qualitative du rosé et sa reconnaissance, on a choisi de ne plus produire ce vin par défaut mais par destination. Aujourd’hui, on ne fait plus du rosé par opportunisme ! Sa production oriente la conduite de la parcelle, l’encépagement, la vinification. On essaie de vinifier et d’élever les rosés différemment les uns des autres pour leur donner un caractère moins exubérant, plus en délicatesse, et en rapport avec la gastronomie. L’ensemble des régions françaises, et étrangères, a pris conscience de la science qu’exige la production de rosé », précise Gilles Masson, le directeur du Centre de recherche et d’expérimentation sur le vin rosé.

Et c’est aussi le cas sur l’aire d’AOP bordeaux qui consacre 10 % de ses volumes au rosé. « À Bordeaux, historiquement, les rosés servaient à valoriser les rouges. Mais, depuis dix ans, leur élaboration s’est professionnalisée avec un itinéraire technique dédié, une reconnaissance et des opérateurs de poids », ajoute Stéphane Gabard, le président du syndicat des bordeaux et bordeaux supérieur. Les régions spécialistes du rosé comme Tavel, le Val de Loire – avec le rosé d’Anjou et le cabernet d’Anjou – et la Champagne, ne se sont pas reposées sur leurs lauriers tandis que les autres, comme le Bordelais, le Languedoc ou la Corse, ont engagé une vraie politique volontariste de reconnaissance de cette couleur sur leur territoire.

Rosés de gastronomie

Depuis quelques années, les gammes de rosés se hiérarchisent. Aux côtés des cuvées traditionnelles s’inscrivent des rosés de prestige, des cuvées de garde, et donc de gastronomie. On peut évoquer, aux extrêmes, la cuvée Garrus, le rosé de luxe iconique du château d’Esclans. « Cela reste des rosés de niche, mais les méthodes requises pour leur production démontrent une véritable expertise », commente Brice Eymard. Avec un potentiel de garde de deux à trois ans, ou jusqu’à dix ans par exemple pour la cuvée Grande garde rosé du Mas de Cadenet sur l’AOP côtes-de-provence Sainte-Victoire, les rosés de gastronomie s’invitent chez les cavistes et à la carte des restaurants.

Certains vignerons prennent le parti d'élevage au style affirmé, en barriques, en amphores ou en jarres. La porte est ouverte à toutes les originalités !
Chrystelle Gourrin, Oenologue (Provence œnologie)

Une valeur ajoutée ? « Le choix de se démarquer de cette “ buvabilité ” coutumière du rosé résulte souvent d’une sélection parcellaire pointue, de cépages plus concentrés issus de vignes âgées. Certains vignerons prennent le parti d’élevage au style affirmé, en barriques, en amphores ou en jarres. La porte est ouverte à toutes les originalités ! » , explique l’œnologue Chrystelle Gourrin (Provence œnologie).

Taillés pour accompagner les mets, ils s’intègrent dans les propositions sophistiquées des restaurants. Et cela, en toute saison. Une place à table qui n’a pourtant rien d’un phénomène récent pour le cru Tavel (reconnu en 1936), élaboré au sud de la Vallée du Rhône. À la frontière entre un vin rosé et un rouge, ce nectar inclassable à la robe foncée a bâti sa renommée sur sa structure, son fruité et sa grande amplitude au palais. Vin de gastronomie et de garde, par essence, le tavel séduit les consommateurs avertis, sur le fil de sa complexité.

Depuis deux ans, Le Grand Trophée Tavel, qui fédère les restaurateurs et les professionnels de la filière, s’emploie à créer une synergie entre le cru et le patrimoine culinaire français à travers des associations de plats méridionaux emblématiques, tels l’aïoli et les petits farcis, revisités par des chefs de renom.

Plus de finesse

Loin du « rosé piscine », le rosé de gastronomie nécessite toutefois l’accompagnement d’un discours expert de la part des professionnels de la restauration. Notamment parce qu’il peut s’associer avec un large panel de mets, qu’il s’agisse de spécialités régionales, de plats en sauce ou de cuisine du monde. Une plus-value « expérientielle », en somme, dont les consommateurs sont friands. En outre, elle ouvre d’autres perspectives, sur la fin de repas. La coopérative Estandon a d’ailleurs franchi un palier en lançant Ceux de 1906, un rosé élaboré pour être dégusté comme un digestif.

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