Kit de survie juridique

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Pour faire face à la crise, la sauvegarde judiciaire, la conciliation ou le mandat ad hoc peuvent s’avérer salvateurs. En temps normal et dans la majorité des cas, elle sont inaccessibles si l’entreprise est en état de cessation des paiements, mais l’ordonnance du 27 mars a changé la donne. Décryptage de l’expert Baptiste Robelin, avocat associé chez DJS Avocats.

« Voilà plus de deux mois et demi que notre pays traverse une crise sans précédent, impactant de premier chef les cafés et restaurants qui ont été contraints de fermer le rideau depuis le 15 mars dernier, dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Aux premiers jours du confinement, le Président avait été clair « Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ». Un arsenal de mesures a depuis été adopté, certaines plus efficaces que d’autres (reports de charges, chômage partiel, prêts garantis par l’État, etc.). Les bailleurs ont également été appelés à plusieurs reprises par le Gouvernement à participer à l’effort de solidarité, en consentant des annulations de loyers et charges à leurs locataires les plus impactés par la crise. Sans y être forcés, les bailleurs ont récemment été incités en ce sens, notamment par un dispositif d’exonération fiscale portant sur les loyers auxquels ils auraient renoncés. Si certains exploitants auront su passer le plus dur de la crise en mettant en œuvre ces différentes possibilités, il n’est pas certain que ce soit le cas de tous. Surtout, la grande inconnue reste la reprise de la consommation après la réouverture : sera-t-elle suffisamment significative pour permettre d’atteindre le seuil de rentabilité et pallier ces longues semaines sans pratiquement le moindre euro de chiffre d’affaires ? Rien n’est moins sûr. Pour les restaurateurs les plus affectés, le levier des procédures collectives devra être considéré. Pour autant, cette solution ne doit pas faire peur, elle peut même s’avérer salvatrice et particulièrement efficace dans de nombreuses hypothèses. Une ordonnance du 27 mars 2020, passée quelque peu inaperçue du grand public, apporte en effet des solutions intéressantes qu’il convient de considérer.

L’avocat associé chez DJS Avocats, Baptiste Robelin, décrypte l’ordonnance du 27 mars. 

Cette ordonnance expose notamment que « l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 », date qui correspond à la survenance de la crise (art. 1er, I, 1°). Cette date sera ainsi retenue jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, soit jusqu’au 23 août 2020. Cela signifie qu’une entreprise tombée en état de cessation des paiements entre le 12 mars 2020 et le 23 août 2020 (pendant le plus dur de la crise) mais qui ne l’était pas avant cette date, pourra solliciter l’ensemble des mesures préventives permises par le droit des procédures collectives, sans obligation de solliciter un redressement ou une liquidation judiciaire. Cette adaptation – temporaire – du droit des entreprises en difficulté présente un avantage majeur. En effet, en temps normal, le Code de commerce n’autorise pas l’ouverture de procédures préventives, telle que le mandat ad hoc, la conciliation ou la sauvegarde judiciaire, dès lors que le débiteur est en état de cessation des paiements (sauf en ce qui concerne la conciliation qui peut être demandée jusqu’à 45 jours après la date de cessation des paiements). Or, par le jeu de cette ordonnance, les tribunaux ont l’obligation de considérer la situation du débiteur au 12 mars 2020.



Des mécanismes curatifs

« Quels avantages cette situation apporte-t-elle ? Plusieurs, qui doivent être considérés, car ils représentent une véritable opportunité ! D’abord, la possibilité de se placer en sauvegarde judiciaire. En temps normal, cette procédure n’aurait pas été possible, puisqu’elle n’est ouverte qu’à la condition de ne pas se trouver en état de situation des paiements. Or la sauvegarde judiciaire revêt de nombreux avantages dans une situation de crise comme celle d’aujourd’hui. En effet, dès le jugement d’ouverture, débutera une période judiciaire dite « d’observation » pendant laquelle l’ensemble de vos dettes antérieures au jugement d’ouverture se trouveront gelées (donc à priori les dettes accumulées pendant la fermeture de l’établissement). Elles ne seront tout simplement plus exigibles et  cela concernera toutes les dettes sans exception : loyer, fournisseurs, charges sociales, etc… Votre établissement sera comme placé dans une bulle protectrice d’une durée de 6 mois minimum (renouvelable deux fois, sous certaines conditions) c’est-à-dire le temps éventuellement nécessaire à l’entreprise pour reprendre son souffle, après la réouverture.Vous-même en votre qualité de dirigeant, à supposer que vous soyez caution personnel sur certains engagements (crédits, etc.) bénéficierait de la même protection, les cautions ne pouvant être appelés pendant la période d’observation. A l’issue de cette période d’observation, si l’entreprise est viable, le tribunal adoptera alors un plan de sauvegarde, permettant d’étaler le paiement de l’ensemble des dettes antérieures à l’ouverture de la procédure sur une période de dix ans. Ainsi, vous bénéficierez d’une période de dix années pour apurer l’ensemble des dettes accumulées pendant les semaines de fermeture et les premiers jours de réouverture. Ces avantages sont aussi ceux que pourraient procurer un redressement judiciaire. Mais la sauvegarde judiciaire, plus souple, offre d’autres avantages : contrairement à un redressement judiciaire, le dirigeant conserve le contrôle de son entreprise. L’administrateur judiciaire, s’il est nommé (non obligatoire dans cette procédure) n’aura qu’un rôle de surveillance a posteriori des actes de gestion ; aucun rôle d’administration de la société. Vous restez donc mettre à bord de votre entreprise. De la même manière, le tribunal ne dispose d’aucun pouvoir pour réduire la rémunération du dirigeant. Si les ressources de l’entreprise le permettent, vous pourrez donc continuer à percevoir l’intégralité de votre rémunération habituelle, sans avoir à vous en justifier outre mesure et sans pouvoir en être empêché par le tribunal. 
Par ailleurs, l’appréciation de la situation du débiteur au 12 mars 2020 pourra également autoriser l’adoption de procédures préventives conventionnelles, comme la conciliation ou le mandat
ad hoc. Ces procédures auront essentiellement pour objet de permettre de négocier avec vos principaux créanciers, sous la protection du tribunal. Elles pourront être mises en œuvre si les difficultés financières de l’entreprise trouvent leur source de manière identifiée : si les dettes par exemple sont principalement locatives, et qu’il convient essentiellement de négocier avec un créancier déterminé, par exemple le bailleur. Ces procédures peuvent dans certains cas être intéressantes, notamment car elles assurent une confidentialité, ne faisant pas l’objet d’une publication comme la sauvegarde judiciaire. Elles sont toutefois également moins énergiques, n’offrant pas l’avantage de la période d’observation (période de gel des dettes antérieures) ni la possibilité de l’adoption d’un plan judiciaire d’étalement des dettes sur dix ans. Ainsi, à condition d’être bien accompagné, le jeu des procédures collectives peut représenter un mécanisme curatif attractif, pour pallier aux difficultés les plus graves afin d’éviter une faillite, même dans le cadre d’une période de crise aussi violente que celle que nous connaissons à présent. »

 

LEXIQUE

Ordonnance : Elle constitue une mesure prise par le Gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la Loi, et elle est généralement limitée dans le temps. 

Conciliation : Mode de règlement amiable de certains litiges, dits litiges de la vie quotidienne. Elle peut intervenir en dehors de tout procès, ou devant un juge ou être déléguée à un conciliateur de justice. C’est une procédure simple, rapide et entièrement gratuite. Si elle aboutit, elle donne lieu à un constat d’accord total ou partiel qui peut être homologué par le juge pour lui donner force exécutoire. Elle concerne notamment les relations entre bailleur et locataire et les litiges entre commerçants.

Mandat ad hoc : Reconnu comme une procédure autonome de prévention des difficultés des entreprises, le mandat ad hoc se caractérise par sa souplesse et sa confidentialité. Il est souvent utilisé comme préalable à la procédure de conciliation ou de sauvegarde. Le but est de rétablir la situation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en cessation des paiements. 


Photo de Une : Peggy und Marco Lachmann-Anke – Pixabay

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