Handicap : miser sur l’inclusion

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Comme dans tous les secteurs, les employeurs de la restauration sont incités à recruter une part de salariés en situation de handicap. Si certains le font par obligation, d’autres y trouvent un vrai avantage.

Alors que 12 millions de personnes sont touchées par le handicap en France, 18 % sont au chômage, ce qui représente près du double de la moyenne nationale. Au total, 2,7 millions de personnes en âge de travailler déclarent disposer d’une reconnaissance administrative du handicap*. Pour favoriser l’emploi, depuis 2005, la loi impose aux entreprises d’au moins 20 salariés d’employer 6 % du total des effectifs de travailleurs handicapés. La loi de 2020 a ajouté l’obligation de déclarer mensuellement les travailleurs handicapés. Si le taux minimal de 6 % n’est pas atteint, l’employeur doit s’acquitter d’une contribution annuelle, destinée à deux organismes chargés de soutenir le développement de l’emploi des personnes en situation de handicap : l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) dans le secteur privé et le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées (Fiphfp) dans la fonction publique. Selon une étude de l’Observatoire de l’emploi et du handicap d’avril 2021, 99 700 établissements de restauration de 20 salariés et plus sont assujettis à l’obligation d’emploi. Le secteur de la restauration semble assez enclin à employer des personnes handicapées, malgré les difficultés, puisque 80 % des employeurs embauchent au moins une personne handicapée alors que 9 % versent uniquement une contribution financière à l’Agefiph. Certaines entreprises rusent avec cette loi et disposent de travailleurs handicapés « pour ne pas payer la taxe ». C’était le cas de Pascal Mousset, patron de quatre restaurants parisiens et président Île-de-France du GNI, il y a dix ans quand il a recruté son premier salarié en situation de handicap. « J’ai commencé à m’intéresser au handicap quand les entreprises étaient taxées. J’ai réalisé mon premier recrutement pour ne pas payer la taxe, ça a été ma première démarche », avoue-t-il humblement. Il est aujourd’hui pleinement engagé dans cette cause et il estime qu’il faut « démystifier le handicap ». « Un de mes employés a un léger retard mental, il a dix ans d’ancienneté », mentionne-t-il. Il a également embauché une personne sourde et muette à un poste de dressage, qui a aujourd’hui quitté l’entreprise. « Le chef avait appris le langage des signes pour l’intégrer, ça se passait très bien, mais sa famille l’a envoyé en maison spécialisée. Son départ a été un déchirement, ce poste était une partie de sa vie et pour nous, il était un vrai atout, relate Pascal Mousset. Quand on demandait à l’équipe de faire des efforts et qu’elle traînait parfois un peu des pieds et que lui y arrivait avec le double d’efforts, c’était une motivation pour tout le monde. Ça apporte beaucoup de bienveillance, mais aussi plus de tolérance de la part des clients, ils se disent que c’est une entreprise qui a du cœur. » Il insiste d’ailleurs sur la motivation : « Les personnes en situation de handicap sont souvent plus attachées et impliquées dans leur travail, elles sont moins absentes, elles ont conscience à quel point leur poste est précieux, alors que les employés valides savent très bien qu’ils retrouveront facilement du boulot s’ils partent. » S’il ne manque pas d’éloges envers les travailleurs handicapés, il reconnaît certaines difficultés. « Pour un poste, on a dû faire quatre ou cinq essais avec des candidats, on s’est rendu compte que leur handicap ne coïncidait pas avec notre activité au restaurant » , concède-t-il.

Des restaurants dédiés

Depuis quelques années, plusieurs établissements adaptés et spécialement dédiés aux travailleurs handicapés ouvrent leurs portes, avec un certain succès. C’est par exemple le cas de Dans le noir, qui a ouvert à Paris en 2004. Tous les serveurs sont aveugles et les clients dégustent leurs plats dans une totale obscurité. Le concept s’est exporté avec dix restaurants à Madrid, Londres, Saint-Pétersbourg ou encore Auckland. Le Café Joyeux, lui, emploie des personnes atteintes de trisomie 21 ou d’autisme. Fondée à Rennes à la fin de 2017, l’entreprise a ouvert plusieurs autres cafés sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, mais aussi à Bordeaux et à Lisbonne et dispose désormais de 51 employés avec un handicap mental. Le but : « Rendre le handicap visible et favoriser la rencontre, en proposant du travail en milieu ordinaire, à des personnes éloignées de l’emploi. » De son côté, l’entreprise Biscornu (Paris 2e), fondée par Olivier Tran, père d’un garçon autiste, propose des verrines préparées par des personnes handicapées et des chefs étoilés. Seulement 0,5 % de personnes autistes travaillent en milieu ordinaire, selon le secrétariat d’État chargé des personnes handicapées.

À l’instar de ces entreprises fondées autour du handicap, le restaurant marocain 1000 & 1 Signes, dans le 11e arrondissement à Paris, emploie uniquement des personnes atteintes de surdité ou malentendantes, depuis 2011. Le gérant, Sid Nouar, atteint lui-même de surdité, avait envie de faire tomber les clichés sur ce handicap. Sa clientèle se compose de la communauté sourde désireuse de se retrouver dans un lieu où la communication se fait dans leur langue, mais aussi des entendants curieux de découvrir ce langage le temps d’un repas. « La communication ne passe pas forcément par la voix, nous souhaitons montrer que c’est plus simple qu’on pourrait l’imaginer de communiquer avec des sourds », assure Sid Nouar. Sur la carte, chaque plat correspond à un signe. Des petites ardoises sont également disposées sur chaque table pour faciliter les échanges entre les clients et le personnel. Le patron souhaitait, au-delà de faire découvrir sa culture, valoriser l’emploi des sourds quand 70 % d’entre eux sont au chômage. Il a d’abord travaillé auprès de jeunes handicapés mentaux, puis comme professeur de langue des signes. Son besoin de challenge l’a poussé à devenir la première personne sourde à ouvrir un restaurant en 2011. Il veut prouver qu’un sourd a autant de capacités qu’un entendant et montrer que sa surdité n’est pas un obstacle à la réussite, dans un univers où la communication orale est primordiale. D’abord situé dans le 9e , son succès le pousse à voir plus grand et à ouvrir un autre établissement à Charonne.

Favoriser l’emploi

Créée en 2014, la mission handicap du GNI a pour but de sensibiliser ses adhérents au handicap et à l’inclusion professionnelle. « L’objectif est d’apporter des solutions adaptées à l’organisation de l’établissement, allant de l’accueil d’un stagiaire, au recrutement d’un alternant ou d’un salarié, au conseil en possibilités ou au maintien dans l’emploi », explique Rachel Bouvard, directrice départementale RSE en charge de la mission handicap. Si son rôle est essentiellement l’accompagnement des professionnels, elle peut aussi mettre en relation les salariés en situation de handicap et l’employeur.

« On veut changer cette vision qui dit que la restauration est jugée comme un secteur d’emploi difficile. Sur la mission handicap au GNI, on part du principe qu’on peut s’adapter à tout type de handicap », détaille-t-elle. Le GNI travaille ainsi en collaboration avec les organismes de formations comme Cap emploi, Pôle emploi ou encore les missions locales. L’objectif du GNI est de chercher des solutions pour faciliter l’employabilité, en trouvant les aides financières, techniques et humaines. « Parfois, une entreprise va avoir besoin d’un tuteur pour accompagner l’employé en situation de handicap, lui répéter souvent ce qu’elle doit faire et cela a un coût, on se dirige vers l’Agefiph pour ne pas imputer le budget de l’employeur » , ajoute-t-elle.

Lorsque les entreprises ne peuvent pas employer de personnes handicapées, car leur activité ne le permet pas, ou qu’elles ne souhaitent pas adopter cette démarche, elles peuvent aussi avoir recours à l’emploi indirect, c’est-à-dire l’achat de prestations ou de matériel auprès d’entreprises adaptées, qui sera pris en compte dans le calcul de la contribution annuelle. L’entreprise Handéco répertorie les emplois indirects possibles pour tous les types de métiers, avec des entreprises adaptées ou des établissements et services d’aide par le travail (Esat). « On dispose d’entreprises adaptées dans tous les domaines, des services de restauration ou des traiteurs, soutient Joseph Ramos, délégué général de l’association Handeco. C’est un des premiers secteurs d’emploi pour les travailleurs handicapés, mais il existe aussi des cabinets de recrutement, des graphistes, des imprimeurs. » L’association a réalisé une étude des entreprises adhérentes du GNI pour proposer des fiches de synthèse à disposition des employeurs. Elle présente le recours aux établissements du secteur du handicap comme une solution à l’embauche des personnes handicapées. « Acheter, c’est recruter », résume le délégué général.

En milieu protégé

Lorsque l’emploi ordinaire est impossible pour les personnes en situation de handicap, il existe également des solutions alternatives en milieu protégé. Les Esat sont des établissements médico-sociaux qui offrent aux personnes handicapées des activités professionnelles et un soutien médico-social et éducatif. À Biarritz, l’Esat Les Ateliers de Caminante, habilité par l’ARS, permet à des adultes en situation de handicap d’exercer une activité professionnelle, grâce à la Reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH). En plus de l’atelier espaces verts, il existe un atelier cuisine. Chaque midi, le restaurant Alanvie prend des allures de cantine améliorée pour les travailleurs et habitants des alentours.

Tout est similaire à un restaurant classique : 60 couverts en moyenne, des tables dressées, la possibilité de réserver, des menus à des prix abordables et le tout fait maison. La seule différence : les cuisiniers et les serveurs ont un handicap psychique, qui réduit leurs capacités de travail. Deux moniteurs encadrent les 18 salariés atteints d’autisme, de schizophrénie, de dépression ou de bipolarité. « Ils ont du mal à gérer le stress et ont besoin de plus de calme, souligne Nathalie Vaquero, directrice adjointe de l’Esat. Deux d’entre eux n’arrivent pas à gérer le coup de feu donc ils travaillent à la préparation le matin et ils quittent leur poste à midi, un autre n’arrive à servir que des tables de deux, détaille la directrice adjointe. Il n’y a pas de carte, car ils ont des difficultés à mémoriser, on propose uniquement un menu du jour. » Ici, c’est le travail qui s’adapte au handicap et chaque employé a un projet professionnel.

Christophe, atteint de troubles psychiques, a toujours rêvé d’être saucier dans un restaurant étoilé. L’Esat lui a permis de faire un stage dans un établissement gastronomique. « J’étais déçu, car je n’ai fait que la plonge pendant une semaine, ici, je suis mieux, je fais tout de A à Z », dit-il fièrement. Il travaille aussi, plusieurs fois par an, dans un salon de thé réputé à Biarritz, où il est pâtissier. L’Esat a à cœur de permettre à ces employés du milieu protégé de découvrir le milieu ordinaire. « Ils sont ritualisés ici, il faut répéter les mêmes choses et être très vigilants, car ils ont tendance à prendre des initiatives, précise Stéphane Lamotte, cuisinier et moniteur d’atelier. Une fois, on avait fait un caramel beurre salé et l’un d’entre eux a ajouté des framboises. » En cuisine, Stéphane Lamotte, auparavant chef en milieu ordinaire, veille à ne pas laisser de place à la maladie. « Il faut toujours les occuper, ils sont très demandeurs, assure-t-il. Parfois, ils n’ont même pas terminé une tâche qu’ils viennent en réclamer une autre, ça n’existe nulle part ailleurs. »

L’État et les Agences régionales de santé (ARS) poussent les structures accompagnant les personnes en situation de handicap à être dans l’inclusion. « Parfois, c’est impossible », mentionne toutefois Nathalie Vaquero. Et Stéphane Lamotte d’ajouter : « Il faut veiller à ne pas leur faire croire que la réalité d’ici, c’est la même partout. »

Note

* Enquête sur l’emploi de l’Insee en 2015.

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