Couvre-feu, semaine une : s’adapter ou fermer

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Chaque semaine, L’Auvergnat de Paris et La Revue des Comptoirs donnent la parole aux restaurateurs, cuisiniers, pâtissiers, syndicats, fournisseurs et distributeurs, tous impactés par les nouvelles mesures sanitaires et la deuxième vague de la Covid-19.

Jean Soghonian à Lyon, Nathalie Bousquet et Léa Froidevaux à Grenoble ou encore Mélanie Serre et Béatriz Gonzalez partagent leur sentiment pour La Revue des Comptoirs.

Vendredi 16 octobre : à Lyon, la fermeture pour limiter les pertes

Il est 15 heures ce vendredi 16 octobre, Jean Soghonian traverse la Rue mercière, à Lyon. Au loin, on entend les cloches de Saint-Nizier : « Elles sonnent pour l’enterrement des restaurants », ironise-t-il. Le patron a eu le temps depuis les nouvelles annonces gouvernementales de réfléchir à la suite pour son établissement, Pic nique en Ville, situé dans le 2e arrondissement. 

La Revue des Comptoirs : Comment réagissez-vous à ces annonces et ces nouvelles mesures ? 

Jean Soghonian : Ce yoyo dans les mesures depuis plusieurs mois, ça me laisse sans voix. On s’attend ,normalement à ce que l’Etat soit carré dans ses décisions, que ces dernières soient prises dans une vision à long terme. L’impact pour les clients me fait mal, car ils sont complètement perdus sur les réformes, ils ne savent plus à quelle heure les restaurants ouvrent, à quelle oeuvre ils ferment…, Résultat, ils se rabattent sur la livraison.

RDC : Comment comptez-vous vous adapter au couvre-feu à 21 heures ?

JS : On a commencé à faire du Click & collect il y a peu, mais c’est malheureusement famélique sur le centre-ville, les clients ne sont pas habitués à venir chez nous pour cela, nos produits ne sont pas forcément tous bons à voyager, comme les ravioles qui sont notre spécialité et qui n’aiment pas le transport. Et puis il y a la fuite des habitants du quartier qui ne viennent plus manger sur place. 

On est trop petits pour les Deliveroo et Uber Eats, et ça coûte cher, ils prennent 30 à 40 % du chiffre d’affaires en moyenne. J’avais pourtant fait une demande, ils ne m’ont jamais répondu. Vu le protocole mis en place dans les restaurants, sachant que la moitié de nos clients n’étaient plus là le midi à cause du télétravail, la seule solution c’est de fermer. J’enlève déjà la moitié de mes tables à cause des mesures de distanciation, le midi c’est déjà compliqué, et le soir il n’y a plus personne. Notre calcul il est simple : comment perdre le moins d’argent.

RDC : Est ce que cela remet en cause à moyen ou long terme la survie de votre établissement ? Envisagez-vous une fermeture provisoire ou définitive ?

JS : Au moment où les nouvelles règles sanitaires négociées par les syndicats sont arrivées à Lyon, quand on est passé en alerte maximale (samedi 10 octobre 2020 ndlr), mon premier réflexe a été d’appeler le comptable. Je sais que je vais pouvoir tenir encore un peu, mais même mon comptable ne sait pas comment les aides promises vont être délivrées à la restauration. Mon propriétaire ne veut pas entendre parler de gratuité d’un mois ou deux de loyers. J’ai payé tous mes loyers, je n’ai pas voulu de report, ca ne change rien. C’est juste déplacer le problème. J’espère simplement avoir les reins assez solides pour tenir, mais j’ai confiance.

Mercredi 21 et jeudi 22 octobre : à Grenoble, les restaurateurs s’adaptent et continuent de travailler

Léa Froideveaux, gérante du Fantin Latour avec son mari Stéphane en cuisine, a décidé d’avancer et de proposer un repas à l’heure anglo-saxonne, mais aussi du click & collect.

La Revue des Comptoirs : Comment réagissez-vous aux annonces ?

Léa Froidevaux : Nous comprenons les mesures prises par le Gouvernement. Il faut stopper l’épidémie, nous n’avons pas de problème avec ça, ce n’est pas contre nous, c’est pour les autres, pour protéger. De notre côté, nous avons toujours été très réactif, nous n’allons pas taper sur des casseroles, mais trouver des solutions. 

RDC : Comment vous adaptez-vous ?

LF : Depuis le confinement, nous avons mis en place la vente à emporter. Cela a demandé beaucoup de remise en question, de travail, mais ça a très bien fonctionné. Nous l’avons arrêté cet été, car le restaurant était plein et nous avons repris en septembre. Concernant le couvre-feu, nous proposons de réserver à 18h30 ou 19 h avec de menus spéciaux : le menu sur le pouce à 32 € et le menu couvre-feu à 60 €, nos formules et plats habituels sont temporairement sortis de la carte. Les clients ont terminé leur repas à 20h30 et tout se passe bien. Nous étions pleins pour les trois prochaines semaines, avec La Fourchette nous avons envoyé des SMS à 300 personnes pour annuler leur réservation et expliquer ce que nous proposons. Samedi soir, nous avons fait le plein. En plus, notre menu à emporter marche aussi très bien, nous offrons la livraison et une bouteille de vin. Il y a un gros travail de communication pour que nos clients soient bien au courant. 

RDC : Est ce que cela remet en cause à moyen ou long terme la survie de votre établissement ? Envisagez-vous une fermeture provisoire ou définitive ?

LF : Il ne faut pas se voiler la face, malgré tout nos efforts, il y a moins de clients. Mais, on continue à travailler. Pour le moment, nous ne constatons pas de baisse significative de notre chiffre d’affaires. Si cela arrive, il faudra peut-être mettre deux ou trois personnes en chômage partiel. Par ailleurs, je constate que nous n’avons pas encore de demande pour les repas de fin d’année. Nous allons continuer de nous impliquer, être réactif et trouver des solutions.

Au restaurant Le Tatone, l’heure est l’adaptation. Tony et Nathalie Bousquet veulent continuer à ouvrir leur établissement et satisfaire leur clientèle.

La Revue des Comptoirs : Comment réagissez-vous aux annonces ?

Nathalie Bousquet : Nous allons, une fois de plus, devoir nous adapter. Nous avons pris l’habitude, avec tous les changements de ces derniers moins. Dès les annonces, nous nous sommes dit que nous allions rebondir, même si ce n’est pas de gaité de coeur. Chaque semaine, de nouvelles choses s’ajoutent et nous n’avons pas le choix. Le cahier de rappel, la distanciation et maintenant le couvre-feu… Mais nous nous adaptons. Pour le moment, les clients jouent le jeu et veulent venir, mais vont-ils continuer à venir jusqu’à la fin du couvre feu ? Ils vont peut-être se lasser.

RDC : Comment vous adaptez-vous ?

NB : Nous avons décalé notre heure d’ouverture. Au lieu de 19h30, nous avons demandé aux clients d’arriver plus tôt, à 18h45. J’ai rappelé les clients qui avaient déjà réservé et certains nous ont contacté dès la fin des annonces. Nous avons dû revoir à la baisse le nombre de couverts. D’habitude nous faisons 40, mais là nous ne pouvons pas accueillir plus de 28 personnes pour respecter les distanciations. Samedi, pour la première soirée, nous étions complet et j’ai dû refuser une quinzaine de personnes. Mais c’est rassurant de savoir que les clients veulent de sortir ! Le service s’est bien passé et les clients sont partis vers 20h30. Nous ne proposons pas de vente à emporter, car notre nourriture ne s’y prête pas.

RDC : Est ce que cela remet en cause à moyen ou long terme la survie de votre établissement ? Envisagez-vous une fermeture provisoire ou définitive ?

NB : Non. Fermer ne nous a même pas effleuré l’esprit. Nous avons déjà été trop contraints à fermer pendant le confinement. Nous voulons être là au maximum et pour le moment, nous tenons nos objectifs. Nous allons voir au fil du temps, puisque cela ne fait qu’une semaine. En tout cas pour le moment, ce n’est pas dans nos tête. 

Vendredi 23 octobre : à Paris, fermer ou s’adapter pour les vacances de la toussaint ? 

Réouvert le 1e septembre, le restaurant Louis Vin (Paris 5e) a refermé ses portes le temps des vacances de la Toussaint, après les annonces du Gouvernement concernant le couvre-feu. La cheffe, Mélanie Serre, souhaite accueillir de nouveau les clients dès la rentrée, en respectant les règles sanitaires et le couvre-feu.

La Revue des Comptoirs : Comment réagissez-vous aux annonces ?

Mélanie Serre : Nous sommes un peu déçus, car nous avons ouvert le 1e septembre. Ce sont de nouvelles restrictions après le premier confinement, donc c’est un coup dur. Nous sommes coupés dans notre élan, alors que nous avons fait une belle ouverture et un beau mois de septembre. C’est un peu compliqué pour nous, d’un côté on annonce que les vacances sont maintenues, mais de l’autre les restaurants doivent fermer à 21h… Mais même si c’est difficile, nous sommes tous dans le même cas, il faut s’adapter, se soutenir et continuer à se battre. 

RDC : Comment vous adaptez-vous ?

MS : À la suite des annonces, nous avons décidé de fermer pendant les vacances de la Toussaint, alors que ce n’était pas prévu. Notre clientèle du midi est en vacances et nous ne savions pas comment cela allait se dérouler le soir. Pour ne pas démoraliser les équipes, nous avons préféré fermer. À la rentrée, nous allons allonger le service du midi, il sera servi jusqu’à 15h et ouvrir à 18h les jeudi et vendredi, jusqu’à 20h30 avec une proposition de vins et de plats à partager, mais aussi un menu unique qui change chaque semaine, pour assurer un service rapide. Nous savons que nous avons la demande, les gens veulent venir. Peut-être que nous ouvrirons les samedis si la demande est là.

RDC : Est ce que cela remet en cause à moyen ou long terme la survie de votre établissement ? Envisagez-vous une fermeture provisoire ou définitive ?

MS : Nous n’en sommes pas là. On sait que ça va être compliqué, il faut faire attention à tout, mais nous n’allons pas abandonner. Nous allons nous adapter au jour le jour dès que nous ouvriront les portes après les vacances. Nous avons embauché il y a un mois, car nous marchions très bien, donc finalement nous allons peut-être devoir mettre une partie de l’équipe en chômage partiel. Mais, nous avons rassuré le personnel, nous ne pensons pas devoir fermer.

Beatriz Gonzalez, gérante des restaurants Neva cuisine (Paris 8e) et Coretta (Paris 17e), a décidé de continuer de rester ouverte. Malgré une fréquentation en large baisse depuis le 17 octobre, elle souhaite continuer à servir les clients.

La Revue des Comptoirs : Comment réagissez-vous aux annonces ?

Beatriz Gonzalez : La première chose que nous nous sommes dit c’est que nous voulions rester ouverts. Pour nous, c’était clair et net, tant pis s’il faut réduire le service et fermer plus tôt. On a tout de suite réfléchis à comment s’adapter pour continuer et ne surtout pas fermer nos restaurants. Nous ne pouvons pas rester fermer, économiquement ce n’est pas possible. Même si nous pouvons remettre notre personnel au chômage partiel, nous avons les loyers, les charges à payer… 

RDC : Comment vous adaptez-vous ?

BG : Nous avons adapté notre carte et nous proposons de petites portions à partager pour que les clients aient le temps de manger. Proposer un menu avec entrée plat et dessert le soir ne nous paraissait pas possible. Malheureusement, le couvre-feu démarre en même que les vacances et pour le moment c’est encore difficile pour nous. Normalement à La Correta nous faisons 80 couverts et le premier weekend du couvre-feu, nous en avons fait moins de 10, ce n’était jamais arrivé. La semaine aussi, on ouvre plus tôt, à 18h, mais pour le moment il y a encore peu de monde. Nous continuons aussi de proposer la vente à emporter, comme pendant le confinement, ça marchait très bien à ce moment-là. Mais pareil, pour le moment ça n’a pas décollé. 

RDC : Est ce que cela remet en cause à moyen ou long terme la survie de votre établissement ? Envisagez-vous une fermeture provisoire ou définitive ?

BG : À vrai dire, c’est encore trop tôt pour le dire. De mon point de vue, on fera tout pour garder nos affaires, cela presque fait presque 10 ans que nous sommes installés, nous ne voulons pas tout perdre, mais c’est très difficile. Nous espérons qu’au retour des vacances, les clients reviendront. Nous voulons attirer la clientèle qui allait habituellement dans les bars, nous ferons des propositions adaptées. Par contre, si le couvre-feu est avancé à 19h, cela sera vraiment compliqué pour nous de continuer. 

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