Axa plie, mais ne rompt pas

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En mettant sur la table 300 M€ à destination des restaurateurs avec lesquels il est en conflit autour d’un contrat de garanties de pertes d’exploitation litigieux, Axa espère convaincre les restaurateurs les moins déterminés de transiger à bon prix. Une manière d’alléger la note finale tout en redressant une image bien écornée auprès de la restauration.

Mardi matin à 8h15, un communiqué d’Axa parvenait dans les rédactions pour annoncer la tenue un peu plus d‘une heure plus tard d’une conférence de presse du directeur général du groupe, Eric Cohen. Lors de cette intervention, ce dernier a annoncé que l’assureur « mobilisait 300 M€ et ses réseaux de distribution pour proposer une solution amiable à ses clients restaurateurs et leur permettre de s’engager pleinement dans la reprise économique ».

Depuis quinze mois, un conflit oppose le géant français de l’assurance à de nombreux restaurateurs couverts par un contrat de garantie de perte d’exploitation souscrit auprès des agents. 15 000 à 18 000 professionnels bénéficieraient ainsi d’une clause particulière les assurant que la garantie joue dans l’hypothèse d’une fermeture en cas de d’épidémie. Toutefois, une clause d’exclusion réduit l’application de ce dispositif à partir du moment où un seul établissement est touché par l’épidémie par département. Depuis lors Axa s’arqueboute sur cette position pour refuser d’indemniser les assurés. Une partie d’entre eux ont porté plainte devant les tribunaux de commerce. Ces derniers ont rendu des avis partagés, mais une grande majorité des jugements ont été favorables aux restaurateurs. En février, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie par Axa, avait confirmé le jugement du tribunal de commerce de Marseille qui avait initialement tranché en faveur du restaurateur. En mai, la même cour avait confirmé son jugement sur trois autres dossiers. Mais, lundi dernier (7 juin) la cour d’appel de Bordeaux avait penché en faveur d’Axa en déboutant un restaurateur. Prochainement, deux autres avis devraient être donnés au niveau des cours d’appel de Rennes (16 juin) et de Toulouse (27 juin). Dans ce dernier cas, la décision sera rendue sur le cas du médiatique chef Michel Sarran.

C’est dans le contexte de cet affrontement judiciaire très tendu qu’intervient l’offre de négociation d’Axa. Une offre bien préparée, puisqu’immédiatement après la conférence du directeur général du groupe, les agents appelaient les détenteurs de contrats pour proposer des offres de négociation. Au lendemain de la réouverture des restaurants, le moment est bien choisi.

Les 300 M€ débloqués peuvent impressionner mais représentent peu ramenés à chaque dossier. Pour relancer la machine, beaucoup de restaurateurs ont besoin de trésorerie et dans une profession peu procédurière, nombre d’entre eux sont tentés par l’opportunité de tourner rapidement la page et de passer rapidement à autre chose. Mais, étant donné le nombre de cas, la contrepartie n’excédera pas 20 K€/dossier. Guillaume Askil, avocat de restaurateurs tout en saluant “le véritable geste d’apaisement d’Axa” estime que c’est notoirement insuffisant : “cette somme moyenne est environ trois fois inférieure aux montants provisionnels accordés actuellement par les tribunaux… » S’il se montre ouvert à la négociation, l’avocat met en garde l’assureur : “ il s’agit maintenant de faire des propositions raisonnables aux restaurateurs et de ne pas jouer avec leurs nerfs”. Il faut en effet savoir que, si on en croit les avocats consultés, l’indemnisation moyenne à laquelle peuvent prétendre les restaurateurs est de 80K€/établissement (celle-ci évolue naturellement en fonction du CA). En cas de victoire finale des devant les tribunaux, des frais de justice, d’expertise voire des dommages et intérêts s’ajouteraient à la note finale d’Axa.

Un savant calcul

Sans préjuger des futures décisions en appel, Axa se trouve déjà dans une position judiciaire délicate qui lui donne, selon Maître Philippe Meilhac, avocat de plusieurs centaines de dossier, une image catastrophique dans la profession : « Même si les tribunaux d’appels continuent de rendre des jugements contradictoires, ce sera à la cour de cassation de faire le ménage et de trancher. La décision sera alors définitive ». En cas de défaite, Axa devra donc payer et l’addition sera alors beaucoup plus lourde que les 300 M€ aujourd’hui mis sur la table.
Les syndicats professionnels ne sont d’ailleurs pas dupes et considèrent ce geste plutôt comme un obole. Marc Sanchez, président du SDI évoque un communiqué d’Axa qui précise « avec ironie et cynisme que l’assureur ayant fait une bonne année en 2021, décide de verser une enveloppe de 300 000 millions d’euros à 15000 des restaurateurs, en transactions et non indemnisations ». Le syndicaliste attend attend de connaitre précisément le mode de répartition et le calendrier de versement de cette transaction et met en garde ses adhérents : “Il n’est pas certain que les restaurateurs concernés n’aient pas tout intérêt, au vu des dettes accumulées qui pour beaucoup dépassent les 20000 euros, de porter la défense de leurs intérêts en justice ».

Pour les syndicats professionnels, qu’ils soient GNI, Umih ou encore SDI, cette annonce arrive « trop tard », est « cynique », et correspond à « une vision stratégique d’Axa, qui sent le vent tourner ». Roland Heguy, président de l’Umih, a annoncé avoir d’ores et déjà communiqué auprès de ses adhérents, pour les inciter à ne pas accepter le deal d’Axa. 

Forcer la décision

Habitué à soupeser les risques Axa fait un calcul habile. Il faut considérer que moins de 10 % des restaurateurs détenteurs de ce contrat aux clauses litigieuses se sont pourvus en justice. Parmi les 90 % d’attentistes, certains n’ont pas fait de déclaration préalable, découragés par le refus initial de l’assureur (Mais, Maître Meilhac rappelle que vu les circonstances, il n’est pas trop tard pour le faire). Enfin, de nombreux autres, afin de ne pas engager de frais de procédure inutiles, attendent le résultat des premiers procès avant de porter éventuellement plainte à leur tour (Ils ont deux ans après la date du sinistre pour le faire, soit jusqu’au 14 mars 2022).

On peut donc gager que ceux qui sont actuellement en procès avec l’assureur n’accepteront de transiger qu’en contrepartie d’indemnisations conséquentes. Philippe Meilhac est formel sur ce point : « Il va de soi que pour les assurés qui ont effectué des démarches et obtenu une décision favorable, cette négociation se fera en fonction du préjudice de l’entreprise. Aucune forfaitisation ne sera acceptée. C’est la perte d’exploitation qui servira de référence. »

La proposition d’Axa intervient toutefois à point nommé pour les 90 % d’indécis qui ont privilégié l’attentisme. Considérant le principe selon lequel un bon tien vaut mieux que deux tu l’auras, ceux-ci pourraient-être séduits par une indemnisation même modeste et ainsi abandonner tout recours. En saupoudrant les indemnités, la compagnie réduit l’effet cascade de dominos qui aurait résulté d’un naufrage devant la cour de cassation. Elle aurait alors dû payer des indemnités au prix fort à l’ensemble des détenteurs de contrats.

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